Le vin, la vigne et le Proche-Orient

Mosquée de Shibam-Kawkaban (Yemen)

Christian Darles (UMR Traces et LRA de l’Ensa de Toulouse)

La Cité du Vin – mardi 7 mars 2017

En attendant la vidéo de la conférence, vous pouvez avoir son enregistrement sonore sur le site de la cité du vin.

Par-delà les vestiges archéologiques et les pépins de raisins que les spécialistes n’arrêtent plus de retrouver dans des chais ou près des habitats les plus précoces, avec souvent des vestiges de vignobles, il faut noter que les mentions littéraires les plus anciennes et les représentations sculptées ou gravées n’ont pas cessées de se succéder au Proche-Orient, toujours liées à la mythologie, aux légendes, aux symboles et aux pouvoirs. Chaque civilisation, chaque peuple a essayé de tirer la grappe à lui, chacun recherche et enrichit la symbolique du raisin et du vin, la renommée et la richesse de l’élevage de la vigne et, sans nul doute, l’ivresse du temps partagé. La vigne et le raisin, deux liens qui rapprochent les hommes et qui les aident à communiquer. Nous sommes au cœur d’une histoire d’échanges, de métissages et de croisements entre des hommes qui avaient cette passion sacrée du raisin et du nectar des dieux.

Le vin circulait et ses récipients restent encore aujourd’hui les témoins de ces lointains parcours, de ces commerces délicats qui témoignent des parcours aventureux des commerçants qui savaient affronter les courants, les nuits et les tempêtes. Il est question d’emballage ! Aujourd’hui encore, les dernières bouteilles à la mode d’Arak, l’alcool de raisin libanais, présentent des formes, des ornementations et des couleurs que les plus grands parfumeurs parisiens comme les plus célèbres producteurs des meilleurs crus mondiaux n’hésitent pas à copier.

Il ne peut pas être simplement question de transmission et de tradition. On est bien au-delà. L’importance du rôle de la vigne et du vin dans l’histoire du Proche-Orient tient un rôle hors du commun, ramenant sans cesse les populations à une origine mythique où les dieux côtoient les hommes. La vigne est liée à un lieu qui se rapproche du Paradis. Elle a aidé les humains à se rencontrer, à s’aimer et à créer un monde de dieux à son image.

Quelques limites

La première limite est celle fixée par la sélection des études de référence sur lesquelles il m’a été nécessaire de travailler afin de rédiger cette communication. Parmi les centaines de publication qui existent relatives à cet objet de réflexion, il a bien fallu orienter notre choix, certains pourront nous le reprocher mais nous assumons ce choix hétéroclite d’œuvres littéraires et de recherches savantes. Ensuite, peut-on donner un cadre à cette zone géographique ? Comment délimiter les époques concernées par notre propos ? On sait que c’est depuis les piémonts du Caucase que le vin descendit vers l’Asie mineure pour gagner l’Egypte, la Crète puis la Phénicie. Ce sont des hommes d’Asie mineure qui arrivèrent à Marseille d’une part, et, de l’autre, c’est vers l’Inde, la Perse et l’Asie centrale que, dès l’âge du bronze, le vin devint « universel », il devint un « lieu ». Le raisin, les pampres, le vin sont des liens. Souvenons-nous que l’Europe a été recouverte de vigne au XIIe siècle. D’où vint cette impérieuse et envahissante nécessité de chercher l’ivresse du vin de raisin alors que la bière et l’alcool de datte étaient déjà maîtrisés dans leur fabrication et appréciés dans leur dégustation ? Le débat est ouvert depuis bien longtemps. Cependant, dans le cadre de ce travail nous nous cantonnerons au vin. Sans rejeter les autres boissons alcoolisées issues de la fermentation nous nous en tiendrons à la vinification du raisin qui, selon les spécialistes, serait apparu plus tardivement que la bière égyptienne et que les alcools de datte originaire des confins de la Perse.

Repères bibliographiques

ARISTOTE, De l’économique, Livre I, ch. V
COLUMELLE, De Rustica, III, 1
PLATON, Les Lois II, (Grou et Becker, Paris, 1852),
PLINE, Hist. Nat., XII, 133,  XXIII, 9 et VI, 32,162.
PTOLEMÉE, IV, 1,2.
STRABON, XVII, 3,4.
MARCO POLO, Le devisement du monde. Le livre des merveilles, texte intégral établi par Arthur Christophe Moule et Paul Pelliot, version française de Louis Hambis, avec une introduction et des notes de Stéphane Yerasimos, La Découverte, François Maspéro, 1980. Edition 2011, p. 112.
LE CORAN, Traduction selon un essai de reclassement des sourates par Régis Blachère, Maisonneuve et Larose, Paris, 1949.
ABÛ NUWÂS, Bachus à Sodome, poèmes traduits de l’arabe et présentés par Omar Merzoug, calligraphies de Lassaâd Métoui, La croisée des chemins, Paris, 2004.
HÂFEZ SHIRÂZI, Le ciel à l’envers, daté de 1388 (traduction Vincent-Mansour Monteil).
OMAR KHAYYAM (poèmes) et LASSAAD METOUI (calligraphies), L’amour, le désir et le vin, Paris, Alternatives, 2008.

BRETON Jean-François Breton & BÂFAQÎH Muhammad ‘Abd al- Qâdir, Trésors du Wādī Ḍura’ (République du Yémen), Fouille franco-yéménite de la nécropole d’Hajar am-Dhaybiyya, BAH, T. CXLI, IFAPO, Beyrouth, Damas, Amman, Geuthner éd. Paris, 1993.
BRUN Jean-Pierre & LAUBENHEIMER Fanette et al., « La viticulture en Gaule », in Gallia, vol. 58, Archéologie de la France antique, CNRS édition, Paris, 2001, p. 5-11.
CASSON Lionel, The Periplus Mare Erythraei, texte with introduction, translation and commentary, Princeton University Press, 1989,  ch. 24-28.
COSTA Paolo, « A bronze Brazier with Bacchic Scenes from Ṣanʿa’ », in L’Arabie Préislamique et son environnement historique et culturel, Actes du colloque de Strasbourg, 24-27 juin 1987, p. 479-484, 5 planches, Toufik Fahd éd. Brill et de Boccard, 1989.
DENTZER-FEYDY Jacqueline, « Le décor sculpté en pierre » in J.-F. Breton éd., Fouilles de Shabwa 4, Shabwa et son contexte architectural et artistique du 1er s. av. J.-C. au 4e s. ap. J.-C., 2009, p. 131-166.
FANTAR Mhamed Hassine, « La vigne et le vin à l’époque carthaginoise », Reppal, volume X, Africa, 1997, p. 40-52.
HEINE Peter, Weinstudien, Untersuchungen zu Anbau, Produktion und Konsum des Weines im arabisch-islamischen Mittelater, Harrassowitch, Wiesbaden, 1982.
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LUTZ Henry, Viticulture and Brewin in the Ancient Orient, Leipzig, 1922.
MARAQTEN Mohammed, « Wine and Vineyards in Ancient Yemen » dans J.-F. Salles et A.V. Sedov, Qāni’, Le port antique du Ḥaḍramawt entre la Méditerranée, l’Afrique et l’Inde, Brepols, 2010.