The main gate of Shakar, the Palace of Shabwa

The main gate of Shakar

The fifth International Conference on Yemeni Civilization

Sana’a History & Culture Heritage -2005

August-September 2004

 

Shabwa, the ancient Capital of Hadramawt, has been partly excavated by the French Archaeological Mission between 1976 and 2002. One of the main excavated building is the Royal Palace, the most impressive tower-house. After its destruction in 225 AD, its wooden storeys were entirely rebuilt, specially its northern Main Porch. In this porch, the wooden structure, well known in South Arabian architecture, was used not only as a lacing reinforcement against earthquakes but also as a structural framework. The posts and the lintels were in wood with black stone ibex friezes. The door itself was adorned with bronze locks and iron nails. Reconstitutions of the structure and of the final aspect of this Porch are here proposed with the help of comparisons with Ethiopian and Lycian buildings.

 

Le dispositif d’entrée du Palais royal de Shabwa

 

Le dégagement de la partie supérieure du bâtiment A du Palais royal de Shabwa a permis la découverte des superstructures en brique crue et ossature bois qui constituaient les parois du premier niveau. Deux états ont été identifiés dans le principe de cloisonnement, mais la disposition des pièces et, plus généralement, du plan subit peu de modifications. On accède en sommet du socle par un escalier frontal situé dans la cour, adossé à la façade nord du socle dont les blocs cachés ne sont pas ravalés. Deux d’entre eux possèdent des dimensions exceptionnelles, 2, 80 m de long pour l’un et 4, 50 m pour l’autre, il pourrait s’agir de remplois mais rien ne nous permet de l’affirmer.

Les vestiges de la partie supérieure du bâtiment A indiquent la présence d’un vaste couloir axial qui menait, du moins durant la dernière période d’utilisation de cet édifice, à un escalier à plusieurs volées disposées autour d’un noyau central maçonné. Un dispositif particulier d’accès a été installé du côté septentrional : la description des vestiges et leur analyse nous amènent à en proposer deux hypothèses de restitution.

 

Description des vestiges du dispositif d’entrée :

Si l’incendie général de l’édifice a fait disparaître, dans sa grande majorité, l’ensemble de l’ossature de bois des parois, il a au moins permis la conservation des briques de terre crue qui se sont « vitrifiées », passant à l’état de grès cérame grâce à la présence de sable dans le limon utilisé pour la fabrication des briques plano-convexes. Des poutres carbonisées ont été trouvées in situ dans l’ossature du bâtiment B du palais, d’autres ont été découvertes dans les niveaux de destruction autour du grand socle. Au sommet de ce soubassement c’est l’empreinte en négatif de l’ossature qui a été conservée dans les parois en brique crue.

Les murs sont composés d’une ossature composée de trois types de pièces de bois : des sablières longitudinales de part et d’autre de la paroi, des traverses ou pièces transversales qui reçoivent des éléments verticaux et des poteaux. La superposition traverse, sablière, traverse, poteau, traverse, sablière est répétée deux fois pour permettre l’élaboration d’un niveau d’habitation. Les assemblages à mi-bois n’étaient pas utilisés pour les angles des parois, ainsi les deux sablières d’un mur deviennent les traverses de la paroi orthogonale associée. Ce décalage d’une hauteur de sablière est visible à plusieurs endroits en haut du soubassement du Palais royal. Une des caractéristiques de cet édifice, est le prolongement des murs de refend du soubassement par les parois de l’élévation de la maison-tour ; ce qui semble évident pour les parois extérieures ne l’est cependant pas pour l’ossature interne élevée, dans certains cas, sur le remplissage des caissons et non sur les murs qui les délimitent.

La paroi nord en élévation du Palais royal est installée en léger retrait du soubassement, sur le mur périphérique du socle. Des dalles de parement, piquetées, ont été découvertes en place, sur le côté occidental, devant le remplissage de brique crue entre les traverses du premier niveau de construction de l’ossature. Ces traverses d’une section carrée de 0,20 m ont laissé, une fois calcinée leur empreinte précise dans la terre crue surchauffée. Cette paroi est interrompue en son centre par une large béance dans l’axe du couloir central. Le niveau du sol original de ce porche n’est pas connu, mais il est probable que, de part et d’autre de cette pièce extérieure, la paroi nord se retournait à angle droit vers l’intérieur. Les vestiges de ces deux parois symétriques sont conservés sur les trois premiers niveaux de construction de la paroi ; les traces en négatif des premières traverses puis des deux sablières enfin des traverses supérieures sont visibles de part et d’autre du porche.

Depuis les fouilles de 1981 au sommet du soubassement, des dégagements clandestins menés au centre du porche, ont tenté de pénétrer en vain à l’intérieur du soubassement. Ce dégagement a toutefois permis de trouver un bloc cyclopéen de 4.65 m de long et d’une section de 0.70 m (hauteur) par 0.90 m (profondeur)[1]. Les deux feuillures encore visibles permettent de penser que ce bloc de remploi (à l’origine en position verticale ?) provient d’un édifice disparu auquel auraient pu appartenir les deux blocs disposés en façades et visibles à l’emplacement du grand escalier d’accès au bâtiment A. Au-dessus de ce bloc parallèle au mur de façade, quatre grandes saignées perpendiculaires sont visibles dans la maçonnerie. Les deux centrales mesurent : 1.60 m pour une section de 0.20 m de haut et de 0.25 m de large, les deux extrêmes sont plus courtes (1.00 m) mais prolongées par deux autres empreintes d’une longueur similaire. Ces deux empreintes latérales sont dans l’axe des murs latéraux du couloir central. Ces deux parois offrent la particularité de posséder une ossature verticale triple et non pas double comme dans la plupart des cloisons connues sur d’autres édifices de Shabwa. On peut considérer que ces parois du premier niveau ont été renforcées par une série intermédiaire de poteaux verticaux dans la construction du mur, afin de recevoir des charges importantes. Ce rétrécissement du dispositif d’entrée nous incite à proposer à cet emplacement le passage de l’extérieur à l’intérieur. Trois serrures ont été découvertes là, ainsi que des vestiges de frises d’ibex qui, encastrées dans les linteaux surmontaient la porte monumentale d’accès. Nous proposons de ce fait que l’ouvrant de la porte était situé dans trois cadres de bois emboîtés comme sur certaines représentations pétrifiées d’Axoum[2].

 

Restitutions

Les deux restitutions proposées ici partent de l’hypothèse que les parois sont homogènes et ne comprennent pas une troisième ligne de poteaux visible en négatif à l’intérieur des blocs calcinés de brique crue ; cette hypothèse permet également de simplifier le représentations graphiques qui montrent uniquement l’ossature en bois. Les restes de remplissage en brique crue indiquent que le procédé constructif des parois, proposé pour les restitutions, est semblable à celui de nombreux édifices à Shabwa : des traverses espacées d’une distance à peine supérieure à leur section soutiennent deux sablières de part et d’autre de l’épaisseur du mur, au-dessus une nouvelle série de sablières est installée pour recevoir les poteaux munis de tenons. L’opération est répétée deux fois. La traverse basse devient sablière quant la paroi se retourne orthogonalement[3]. La présence des traces au sol de grandes pièces de bois de section importante (0,25 m), posées perpendiculairement sur le grand monolithe (qui n’est pas destiné à être vu), peut être interprétée comme l’indice de la mise en œuvre de pièces de bois destinées à soutenir des éléments linéaires verticaux de section équivalente Une première hypothèse fondée sur l’étude des traces visibles permet la proposition d’un ensemble de huit poteaux destinés à soutenir une paroi importante de l’étage, en principe, la façade en retrait Quatre poteaux sont accolés aux parois latérales, quatre autres sont isolés. Cette première restitution propose une solution d’un porche hypostyle situé au fond d’un premier retrait de la façade. Ce retrait était-il continu sur toute la hauteur de la façade, c’est ce que proposait J. Seigne[4].

Une deuxième restitution suppose la présence en façade d’une série équivalente de huit poteaux supplémentaires dont quatre sont accolés aux parois latérales à l’emplacement précis des angles de la paroi extérieure. Cette solution permet de proposer un porche à huit piliers ou poteaux isolés, suffisamment espacés pour permettre le passage des occupants du palais. L’absence de vestiges archéologiques, dans la mesure où le sol actuel est au-dessous du niveau d’origine, ne permet pas de garantir l’exactitude de cette hypothèse. L’arrachement de la façade de part et d’autre du porche est particulier, comme la présence, à cet emplacement, de deux grands monolithes dans la composition du soubassement, on peut ainsi supposer, au- dessus du mur nord du soubassement la mise en œuvre d’une ou deux pièces de seuil sur lesquelles reposaient des piliers destinés à soutenir des linteaux soutenant le mur de façade.

 

 

Comparaisons

Le Palais royal de Shabwa se rattache à un type d’édifice attesté dans les différentes cités d’Arabie du sud : la maison-tour précédée d’une cour entourée d’un édifice à portique. Tels se présentent aussi les temples Bar’ân et d’Awwâm à Ma’rîb, et le grand monument dit “ TT1 ” à Tamna’. Ces trois édifices comportent des dispositifs d’entrée qui présentent quelques similitudes ; il faut les comparer avec ceux que l’on peut rencontrer dans d’autres temples comme ceux de Raybûn, de Hayd bin-Aqîl à Tamna’, de Barâqish et d’Awwâm à Ma’rîb. Ces comparaisons locales doivent être complétées par une réflexion sur les analogies entre ces porches yéménites et leurs homologues axoumites.

Si nous limitons notre étude aux dispositifs d’entrée de Shabwa et de Tamna’, ces rapprochements restent toutefois formels car les solutions architecturales diffèrent d’un ouvrage à l’autre. Les temples possèdent en général un dispositif en saillie et le bâtiment “ TT1 ” un dispositif comportant un porche délimité par un alignement de piliers monolithes en façade. Le palais de Shabwa semble présenter un dispositif plus complexe avec un rentrant à double porche dont l’ossature est composée, dans les deux hypothèses de restitution, de pièces de bois.

De nombreux tombeaux rupestres de Lycie possèdent une façade sculptée représentant un édifice à ossature de bois. Cette originalité de l’architecture lycienne  apparaît sur les monuments funéraires de Xanthos et des environs. D. Krencker proposait déjà au début du XXe s. une comparaison entre ces représentations[5], celles d’Axoum et l’architecture contemporaine de certaines églises éthiopiennes comme celle de Debre Damo[6]. L’étude architecturale des tombeaux de Lycie a été menée plus tard par le Dr Borchhardt (Université de Vienne) qui a proposé plusieurs vues tridimensionnelles ; plus récemment, des archéologues autrichiens ont tenté, sur le site de Limyra, une reconstitution de tels édifices. Un petit bâtiment cubique de 4.50 m de côté a été réalisé entièrement en bois. Le principe d’assemblage d’entaille à mi-bois (ou à quart de bois) permet un encastrement plus résistant que le simple empilage de pièces de bois. Les décalages en hauteur visibles entre les pièces horizontales perpendiculaires permettent une meilleure rigidité de l’ossature qui n’est pas contreventée. Ce contreventement, comme dans l’architecture de l’Arabie du Sud est assuré par la masse même de la paroi, en briques de terre crue à Shabwa en petites pierres liaisonnées avec du mortier de terre en Ethiopie. La fragilité des tombeaux lyciens réside néanmoins dans la faible épaisseur des parois qui ne comportent qu’une largeur d’ossature en bois. Egalement les traverses ne sont disposées qu’au dessus des sablières des parois latérales contrairement à l’ossature du Palais royal qui place toutes les pièces verticales entre deux traverses. La sablière servant ici de chaînage horizontal.

Nous tentons de comparer cette disposition d’éléments architecturaux avec les figurations connues en Ethiopie. Certains édifices d’Axoum comportent également des soubassements massifs à degrés montrant des retraits importants et une suite de redents et de rentrants. Une des hypothèses de restitution du dispositif d’entrée du palais royal de Shabwa envisage un rentrant de ce type qui précèderait un porche au centre de la façade principale. Rappelons ici que le socle A du bâtiment « TT1 » de Tamna’ comporte également une série de rentrants et de redents. À Axoum, ces représentations sont de trois types : les images pétrifiées que l’on rencontre sur les stèles, les façades des tombeaux, et les élévations de certaines églises rupestres médiévales.

Les auteurs des différentes publications concernant l’architecture d’Axoum sont unanimes pour voir dans ces façades sculptées la représentation de constructions en bois, comme il en existe d’une part encore en Ethiopie mais aussi dans d’autres contrées du Proche-orient telles le Kurdistan ou l’Asie centrale. Les représentations pétrifiées d’Axoum indiquent une saillie des traverses, comme sur les façades sculptées des tombeaux de Lycie, or, en aucun cas ce principe précis de construction n’est attesté à Shabwa où l’ensemble de l’ossature est installé au nu des parois. À Axoum, seules les pièces de bois verticales sont recouvertes par un enduit et il est possible de constater, comme en Lycie, un encastrement à quart de bois entre les sablières et les traverses supérieures. Alors qu’à Shabwa l’usage des tenons et des mortaises ainsi que des clavetages de pièces sont généralisés, il est difficile au vu des publications d’envisager ce principe en Ethiopie et en Lycie.

L’encadrement des baies est entièrement en bois dans les représentations pétrifiées d’Ethiopie et de Lycie, il l’est également dans les églises éthiopiennes comme dans l’architecture contemporaine traditionnelle du plateau anatolien. Une série de cadres sont installés en retrait les uns des autres. Le dormant de l’ouverture, dans lequel va être disposé un ouvrant muni d’une ou plusieurs serrures, est composé de quatre pièces longitudinales  (le seuil, le linteau et les deux montants) encastrées dans quatre traverses débordantes. Ces traverses, pièces maîtresses de la composition, reposent sur l’encadrement en bois qui compose le tableau de la baie. Ce tableau est également un cadre complet ; il est double de manière à recevoir dans l’axe de son épaisseur le dormant. Il est composé de quatre traverses débordantes et de huit poteaux qui constituent les cadres intérieur et extérieur du tableau. L’épaisseur totale de ce complexe est de trois fois la section des pièces verticales. Dans les cas où les murs sont plus épais, un autre encadrement est élaboré de part et d’autre de ce tableau. L’épaisseur totale du dispositif d’entrée est de cinq sections de poteau.

 

Notre tentative de restitution se fonde sur la comparaison des vestiges des superstructures du Palais de Shabwa avec les représentations de Lycie et d’Ethiopie. Si quelques nuances peuvent être apportées pour la nature des parois composites, il n’en demeure pas moins que la constitution des murs du Palais peut être considérée comme une des variables possibles d’un procédé constructif parfaitement maîtrisé. Les représentations des baies, en Lycie et au Tigray, nous intéressent plus particulièrement car aucun vestige n’a été, à ce jour découvert, lors des différentes fouilles. Seules existent, en Arabie du Sud, les représentations sculptées sur les dalles à panneaux encastrées, ainsi que quelques maquettes comme les temples miniatures découvert dans le wâdî Jawf et à Kamna[7]. Ces représentations stylisées et succinctes, tout en confirmant les hypothèses concernant les ossatures et les châssis de baies en bois, fournissent cependant moins d’information que les architectures funéraires de Xanthos et les façades pétrifiées de l’architecture d’Axoum.

 

Christian Darles

Ecole d’architecture de Toulouse, France

Laboratoire Les Métiers de l’Histoire de l’Architecture – Archéologie du Patrimoine Bâti

christian.darles@toulouse.archi.fr

[1] – Ce bloc de près de trois mètres cubes pèse ainsi près de six tonnes.

[2] – KRENCKER, 1913, fig. 17-18.

[3] – DARLES, 1998, p.17, fig. 12.

[4] – BRETON, SEIGNE, AUDOUIN, 1981 : pl. XVI.

[5] – KRENCKER, 1913, p. 9, d’après G. Neumann.

[6] – D. Krencker propose également une comparaison avec une mosaïque trouvée par Evans à Cnossos qui représente une façade avec la saillie des traverses de bois de l’ossature. KRENCKER, 1913, p. 7.

[7] – DARLES, 1993, p. 132 et 135.